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Texte de Catherine Charron
Service de la recherche

Depuis l’automne, le gouvernement met toute la gomme pour convaincre la population du Québec que les beaux jours sont arrivés, après une première partie de mandat marquée par les attaques aux services publics. Donc, après deux ans de coupures dans les services, dans les programmes sociaux, dans l’administration publique, deux ans à faire avaler la pilule de l’austérité aux personnes les plus vulnérables, l’heure serait maintenant aux réinvestissements. Tout à coup, les dirigeants sont préoccupés par la pauvreté et les inégalités et annoncent, la main sur le cœur, leur ferme intention de s’y attaquer.

Comment? Une recette, ou plutôt une formule (magique), semble avoir actuellement la faveur du gouvernement, et c’est le « revenu minimum garanti » (RMG). Au cours de la dernière année, les libéraux ont soigneusement préparé le terrain, en confiant d’abord au ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale le mandat de se pencher sur « l’instauration d’un revenu minimum garanti », puis en organisant des journées de réflexion, en mettant sur pied un comité de travail et en multipliant les déclarations favorables à cette idée.

Une idée séduisante
Il faut dire que le RMG, c’est le dada du ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, monsieur François Blais, qui a d’ailleurs consacré un livre à cette question en 2001. L’idée a effectivement de quoi séduire : remplacer tout l’attirail de mesures ciblées par une seule et unique prestation, versée à toutes et à tous sans distinction. Le système fiscal se chargera de récupérer les sommes auprès des contribuables plus aisés. Quelle économie de moyens! Exit la bureaucratie. Exit les vérifications tatillonnes et humiliantes pour avoir droit à une aide. Bonjour la liberté de choisir entre la simplicité volontaire et la participation au marché du travail.

Plusieurs personnes, militantes et militants, intellectuelles et intellectuels engagés, économistes hétérodoxes, sont pourtant plus que sceptiques face à un programme d’allocation universelle comme celui imaginé par François Blais. Dans la mesure où un projet d’une telle envergure viendrait forcément remplacer au moins partiellement les mécanismes existants, il faut mesurer la menace que cela pourrait représenter pour les services publics, les programmes sociaux, et même pour l’ensemble du système de sécurité sociale.

Il faut mesurer la menace que cela pourrait représenter pour les services publics.

Et ça va finir en crédit d’impôt?
Mais, de toute façon, selon toute vraisemblance, ce n’est pas une allocation universelle telle que prônée par François Blais que le gouvernement envisage de mettre en place au cours des prochaines années au Québec. Politiquement, l’instauration d’une sorte d’impôt négatif est beaucoup plus plausible : il pourrait prendre la forme d’un nouveau crédit d’impôt remboursable ou d’une majoration du crédit d’impôt pour solidarité. L’augmentation de l’exemption de base et de la prime au travail (mesures qui bénéficient seulement aux personnes ayant des revenus d’emploi) sont aussi à prévoir dans un budget pas si lointain.

Concrètement et à court terme, les impacts de tels changements sur l’ensemble du système de sécurité sociale, surtout si les montants en jeu sont modestes, seraient assez limités. Pas de quoi téléphoner à sa mère, comme on dit. Le ministre des Finances expliquera qu’il s’agit de quelques ajustements dans la déclaration de revenus, et ce, au plus grand bénéfice des ménages à bas revenus.

À plus long terme, cependant, c’est une fiscalisation accrue de la sécurité sociale que cela implique, et un tel choix relève d’une vision économique foncièrement libérale.

Pourquoi faut-il se méfier des solutions à la pauvreté reposant exclusivement sur la fiscalité?
Pour les économistes libéraux, l’implication de l’État en matière de répartition de la richesse doit se limiter à son rôle de redistributeur in fine. De leur point de vue, l’État doit éviter le plus possible d’intervenir en amont pour assurer une meilleure distribution primaire des revenus (notamment en encadrant le marché du travail, en régulant les salaires, en assurant un accès universel à l’éducation, aux services publics, etc.). Un impôt négatif garantit l’octroi d’une somme minimale à tous les individus. À partir de là, dans l’esprit d’un penseur comme Milton Friedman, économiste ultralibéral et promoteur de l’impôt négatif, chacune et chacun seront libres de se procurer sur le marché les biens et les services désirés : éducation, santé, logement et électricité sont, à cet égard, sur le même pied que tout autre objet de consommation.

Non seulement l’orthodoxie libérale déresponsabilise l’État vis-à-vis les mécanismes producteurs des inégalités, mais il le déresponsabilise vis-à-vis le type de réponses à apporter aux différentes conséquences individuelles de la pauvreté. Sans compter que, bien sûr, une telle approche exonère les entreprises de toute imputabilité vis-à-vis l’Insécurité économique vécue par les travailleuses et les travailleurs. Pas étonnant que les lobbies patronaux, Conseil du patronat du Québec et la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante en tête, prévoient l’apocalypse en cas de hausse du salaire minimum à 15 $, et prônent plutôt des « mécanismes fiscaux » pour soutenir les personnes à faible revenu. Gageons que ces grands défenseurs de la libre entreprise se montreront ouverts à l’idée d’un RMG lorsque le gouvernement fera ses premières annonces…

Pendant ce temps, le gouvernement fragilise la situation des personnes sur l’aide sociale
Ce que le gouvernement mijote au sujet du RMG sera perceptible au cours des prochains mois. Du côté de l’aide sociale, l’avenir est plutôt inquiétant. Le projet de Loi 70, qui crée l’obligation de participer au programme Objectif emploi pour les nouveaux demandeurs d’aide sociale, n’est d’ailleurs pas sans rapport avec le cheminement de l’idée du RMG au gouvernement. En effet, monsieur Blais, dans l’euphorie de l’adoption de son projet de loi, a affirmé que les modalités du Programme comportent des « arrangement[s] parafisc[aux] » appliqués sur « une base d’expérimentation », qui pourront éventuellement être imposés à toutes les personnes assistées sociales. Le programme Objectif Emploi serait-il donc, en quelque sorte, un projet pilote visant à expérimenter un embryon de RMG auprès d’un groupe témoin captif, soit les personnes présentant une première demande d’aide sociale?

En vertu du projet de loi 70, toutes les personnes qui feront pour la première fois une demande d’aide financière de dernier recours, si elles sont reconnues « aptes au travail », devront participer au programme Objectif emploi. Techniquement, elles ne seront plus couvertes par la Loi sur l’aide sociale, ce qui permet au ministre de tester sur ce groupe des paramètres qui sont actuellement impossibles à étendre à l’ensemble des prestataires en vertu de la Loi. Quelles sont ces conditions spéciales imposées dans le cadre d’Objectif emploi?
- Si elle répond aux critères d’admissibilité de l’aide sociale, la personne participante aura droit à une prestation garantie de 399 $ par mois (actuellement, une personne seule jugée apte au travail reçoit 623 $ d’aide sociale);
- Pour avoir droit à une prestation supplémentaire (pour un total pouvant atteindre 883 $), elle devra remplir les exigences établies dans son plan d’intégration, et qui peuvent consister en de la recherche intensive d’emploi, de l’acquisition de compétences psychosociales, de la formation, ou de « toute autre démarche adaptée à sa situation »;
- Contrairement au prestataire d’aide sociale, le participant ou la participante à Objectif emploi aura la possibilité de cumuler des revenus d’emploi supérieurs au seuil de 200 $ par mois, ceux-ci ne seront imposés qu’à 50 %;
- De plus, le montant de sa prestation supplémentaire ne sera pas ajusté en cours de participation en fonction de sa situation familiale. En d’autres termes, la personne qui partage son logement avec des colocataires ou qui emménage avec un conjoint ou une conjointe ne verra pas son chèque amputé comme ça serait le cas si elle vivait de l’aide sociale.

Alors qu’en penser? N’est-il pas vrai que le système actuel, qui « confisque » les revenus de travail des bénéficiaires de l’aide sociale, qui pénalise l’entraide et fragilise l’autonomie des femmes en présumant de leur vie maritale est injuste et même révoltant? Oui, absolument. Il ne fait aucun doute que ces éléments de la Loi contribuent à enfermer les personnes assistées sociales dans la pauvreté. Ce sont d’ailleurs des chevaux de bataille historiques des groupes de défense des droits des personnes assistées sociales depuis fort longtemps. Mais si certaines personnes – particulièrement celles qui sont le plus proches du marché du travail — pourront bénéficier d’une amélioration de leur condition économique en participant au programme, combien verront au contraire leur situation se dégrader? Et, surtout, qu’est-ce que cette brèche dans les seuils minimaux de prestation augure-t-il pour l’avenir de notre système de solidarité sociale?

Le but du gouvernement : sortir les gens de l’aide sociale et/ou les empêcher d’y entrer?
La personne participant au programme Objectif emploi n’aura, dans les faits, que 399 $ sur lesquels elle pourra compter à coup sûr chaque mois. Ce qui est assurément insuffisant pour vivre. Pour obtenir le reste de la prestation, elle sera soumise à des conditions de participation sur lesquelles elle n’a pas complètement le contrôle. D’autant plus que les modalités d’application seront largement déterminées en catimini par règlement : Qu’est-ce qui constitue un manquement? Quels sont les critères d’un emploi convenable? Quelles obligations familiales peuvent exempter quelqu’un de participer au Programme? Ces critères seront mis en œuvre au mieux de leur connaissance par les agentes et agents d’aide du ministère et/ou les organismes en employabilité sous-traitants de l’État. Ils et elles auront la tâche ingrate d’aider les prestataires… tout en les menaçant de leur couper les vivres.

Une personne inscrite au programme Objectif emploi qui, pour une raison ou une autre, ne remplit pas les obligations qui lui sont imposées dans son plan d’intégration, se retrouvera avec une prestation de 399 $ pour se nourrir, se loger, s’habiller. Dans le pire des cas, cette personne pourrait tomber dans l’itinérance. Dans le meilleur des cas, elle trouvera un petit boulot à temps partiel qui lui permettra d’augmenter un peu ses revenus. Vingt heures de travail au salaire minimum par semaine ce n’est pas suffisant pour atteindre un niveau de vie décent, mais c’est tout ce qu’il faut pour « sortir » de l’aide sociale. Une belle réussite à mettre au bulletin du ministre, car il faut bien comprendre que, pour le gouvernement, la priorité est avant tout de « favoriser la sortie de l’aide sociale » (citation du ministre lors de l’adoption du projet de loi 70), et pas la sortie de la pauvreté. Près de quinze ans après l’adoption à l’unanimité de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, le manque de volonté politique à cet égard est patent. Depuis le milieu des années 1970, les inégalités ont constamment progressé au Québec. Le taux de recours à l’aide sociale, quant à lui, n’a jamais été aussi bas qu’en 2016 .

Alors, osons poser la question : par-delà les beaux discours, l’intention du gouvernement avec le Revenu minimum garanti n’est-elle pas de franchir un pas de plus dans le sabotage de l’État social?

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2020-06-03

Je sais tout - Hausse du salaire minimum

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